Toccata...
C’est l’histoire d’un
voyage, d’un voyage en mer, qu’on suppose s’être passé des années en arrière…
Au départ du port de Livourne, un matin de juillet, le
transatlantique La Fenice leva l'ancre pour l'île d'Ersinia où naquit
une cantatrice à la voix divine, et au large de laquelle ses cendres devraient
être dispersées lors d'une cérémonie funèbre. Tous ceux qui l'avaient aimée,
admirée ou enviée étaient là. Parents, mélomanes et amis cosmopolites
l’accompagnèrent dans son dernier voyage.
Dove sono i bei momenti
Di dolcezza e di piacer...
Elle s’arrêta subitement.
Son silence fût aussi émouvant que son chant.
« Partons, la mer et belle ! » Sur l’ordre du capitaine, le navire s’ébranla et quitta la côte.
Alors que le pont ployait sous le vent et le soleil, les passagers hauts
en couleur le parcouraient, lors de leurs promenades d’observation.
Mais, lorsqu’à l’horizon se dessina une
mer couleur vieil homme et une épaisse brume d’une odeur marécageuse, elle eut
envie de se réfugier jusqu’aux yeux dans son immense écharpe en mohair rouge
garance. Vint le froid. Sa chevelure que la moindre lumière faisait flamber
s’éteignait peu à peu jusqu’à s’assoupir.
Tous les voyageurs furent conviés à descendre au salon inférieur. Cette
pièce était meublée comme pour une fête commencée des années plus tôt et jamais
terminée. Dans le ventre du navire, envahi par la pénombre, se manifestait une
sensualité étrange. La vie y bourdonnait à mi-voix. Un musicien jouait en
sourdine des airs de Schubert. Caressant, frottant, poussant, ses doigts
graciles sur les verres de cristal les faisaient chanter. A la fin de chaque
morceau, il passait la main droite dans ses cheveux et murmurait
doucement : Voilà.
Elle, personne ne semblait la voir; elle était un fil d'or qui courait dans la trame d'un tapis tissé par un fou. Devant elle, elle vit une immense volière, aux portes grandes ouvertes. Et devant la volière, un homme. Vêtu d'un costume gris sobre de distinguée nostalgie, ses cheveux noirs parfaitement rassemblés sur la nuque, il ne la quitta pas des yeux. Elle continua simplement de marcher lentement, ne s'arrêtant que lorsqu'elle fut face à lui.
Alors, elle tendit le bras et ouvrit la main. Sur sa paume, il y avait un billet plié en quatre. Il le vit et son visage tout entier se mit à sourire....
[A ma grand-mère Pietrina...]