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31 mars 2006

Mar IV audage

Il faisait très chaud dans ce métro de banlieue et le garçon debout, près de la seule fenêtre baissée qui donnait un peu d’air, avait croisé les bras derrière son dos et faisait semblant de lire une publicité.

La jeune fille qui se tenait près de lui ne se décida à parler qu’au bout d’un certain temps. Elle dit à voix basse :

- Rendez-moi ma chaussure.

Le garçon lui accorda un coup d’œil rapide, fronça les sourcils, écarta les jambes pour garder l’équilibre et revint à sa lecture. La jeune fille dit un peu plus fort :

-     S’il vous plaît, veuillez me rendre ma chaussure !

Le garçon pensa : " C’est une p’tite beauté. Si elle me parle encore une fois, en entre-ouvrant ces lèvres-là, j’enfonce les mains dans ses cheveux, je les lui emmêle, je l’embrasse, j’écrase mon nez contre son nombril et de là, je tournerai comme un tourniquet sur tout son corps, tout son passé…".
Sans qu’elle s’en aperçut, il introduisit la sandale dans la poche arrière de son pantalon et se frotta les mains, comme pour dire : " Rien dans la gauche, rien dans la droite ".

-     Quelle chaussure ?

Après un court silence, la jeune fille tapa de son pied nu sur le sol, et fronça les sourcils d’un air sévère.

-     Comment quelle chaussure ? Ma chaussure rendez-la moi et toute de suite !
  Vous en avez du culot !

Il pensa : " Ou bien je délire, ou bien je suis réellement amoureux de cette fille. Comment ça se peut que je l’aime déjà avec une telle force ? "... Après quoi il se gratta la tête et pendant que la fille le regardait la bouche ouverte de stupéfaction, il s’agenouilla. Prenant le pied déchaussé dans ses mains, il se mit à considérer avec un sérieux sincère, l’objet de tant d’émotion. Il fut sur le point de le baiser, mais il se retint et pensa à cet instant précis : " Protège-moi mon Bonhomme, ne m’abandonne pas ! Permet-moi de transformer mon français hésitant ! Qu’il me vienne tout naturellement. Qu’il coule avec grâce de mes lèvres. Qu’il prenne le rythme des sonnets d’Apollinaire et qu’elle ne m’envoie pas dans le nez ce petit lingot d’or que je tiens dans les mains."

Puis, bravant sa peur, le jeune homme sourit légèrement, mais elle, de son côté ne souriait pas du tout. Alors il se laissa tomber à ses côtés, en signe d’abattement. Une seconde, puis d’un mouvement d’air doux, il approcha son visage de son oreille à elle, et on eut pu croire presque qu’il l’embrassait. Il murmura :

-     Je comprends.

Il s’approcha un peu plus encore et prenant la fille par les épaules, il se mit à lui parler dans sa langue à lui, en espagnol, en implorant tous les dieux pour qu’elle comprenne :

-   On ne va pas descendre avant le terminus... Ne me regarde pas comme ça. Pas comme si j’étais fou. Ne me jette pas trop vite… pas maintenant.
Avant de penser quelque chose, permets que je te garde huit jours près de moi. Me donneras-tu cette chance ?…

Comme si une troupe d’anges étaient descendus dans la rame du métro, la jeune fille avança son visage tout près de celui du garçon. Elle sourit et renversa la tête sur le dossier. Le garçon se jeta sur elle, l’embrassa, la mordit aux lèvres. Elle lui mit ses bras autour du cou et ses bras à présent l’abritait. Si sa bouche avait parlé, elle aurait dit en riant aux éclats : 

- Jetons à l’abîme un siècle de nos vies !


 

(Morceaux choisis et/mais/ou bricolés de "Noce", une nouvelle d'Antonio Skàrmeta, Chili, 1984)


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Commentaires
F
Voui , voui, ça doit être ça * pannotype, arrgh, dico* en tout cas positif et unique !
M
Flivo ><br /> Un rêve? Tu veux dire un pannotype, cette sorte d'image photographique positive, obtenue directement à la prise de vue, sans intermédiaire négatif...<br /> Donc unique?
M
SI ><br /> Je dis "linge sale" c'est un grand mot...<br /> Si je dis "pincette" c'est sans doute plus juste dans ce décor...
M
Et bien…<br /> <br /> Appia > <br /> Bonsoir à toi ! Il n’y a pas d’heure pour que je te serve une p’tite douceur, pas vrai ?<br /> Moi, j’aime ton franc parlé et ta sincérité ; ta fraîcheur et ton piquant Appia !<br /> Et comme disait ma grand-mère, en levant son verre: « Alla faccia de ciunca ne vole male… ». Salute e bene !<br /> <br /> Si ><br /> Un compliment reste un compliment. Et comme je les collectionne, je garde le tien, tout aussi précieusement…<br /> Cependant comme tu ne sembles pas avoir commenter ici « par hasard », je me permets de souligner qu’un blog pour peu qu’il soit un lieu de débats (…arf !) n’ est pas pour autant une buanderie collective où les touts-venant viendraient leur linges sales, sous le bras…<br /> Pace, salute e bene.
F
C'est étrange, c'est en noir et blanc... ( c'est peut-être parce que je suis mort, donc je rêve)
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